Revue de presse 1979


Freddy Buache : La quête de Monsieur Pipe

Télérama 30 mai - Claude-Marie Trémois : Le vieil homme indigne

Ecran 79, 15 juin - Olivier Barrot : Sur les traces de Jean-Jacques

Le Figaro, 13 septembre - Michel Marmin : Délicieux délire

Le Monde, 19 septembre - Claire Devarrieux : La part de poésie

Les Nouvelles littéraires, 20 septembre - Michel Boujut : Au-delà du régionalisme

France-Soir, 24 septembre - Robert Chazal : En sol mineur

Martin Schaub : L'espace illimité des sensations



DIARO DE NOTICIAS, 19 octobre     pdf

IL TEMPO, 4 septembre      pdf

LA CITE, 15 novembre      pdf

LA CORUNA, 2 octobre      pdf

LA VANGUARDIA, 28 novembre      pdf

LE SOIR, 17 novembre      pdf

LE SOLEIL, 16 novembre      pdf

LES NOUVELLES LITTERAIRES, J. Garcin      pdf

LES NOUVELLES LITTERAIRES, M. Boujut      pdf

MICHEL MARMIN, septembre      pdf

MICHEL PEREZ, 12 octobre     pdf

NOUVEL OBSERVATEUR, 17 octobre     pdf

NRC HANDELSBLAD, 28 octobre      pdf

ECRAN, Olivier Barrot juin      pdf

TELERAMA, 12 octobre      pdf

VAN VRIJDAG, 29 octobre      pdf

VARIETY, 23 mai      pdf



Freddy Buache : La quête de Monsieur Pipe

Depuis quarante ans, le vieux Pipe travaille dans la même ferme de Gros-de-Vaud. C'est dire qu'il occupe, sociale-ment, une place particulière, typique de la civilisation paysanne de nos régions, surtout jusqu'au moment de la mécanisation systématique de l'agriculture: dévoué, rude à la tâche, ce domestique de campagne, par son fidèle attachement au clan, fait partie de la famille dans tous les domaines de l'existence quotidienne ou sentimentale; on l'invite aux fêtes, il partage les soucis ou les plaisirs de ses employeurs et, pourtant, sur le plan précis des affaires d'argent (ou de gestion de l'entreprise), il reste un serviteur qui n'a pas le droit à la parole. En somme, Pipe est un esclave que le paternalisme des maîtres semble rendre heureux (il possède le gîte, le couvert, même un peu d'affection, et de quoi se payer un verre de vin le dimanche); mais ce bonheur apparent, proche à certains égards de celui que vivent les gens d'aujourd'hui dans leur rapport à l'Etat, masque mal un manque essentiel: celui de l'authentique liberté. Pipe va en faire l'apprentissage grâce à l'acquisition d'un vélomoteur, véhicule qui va lui permettre de s'approprier un espace qu'il fut contraint d'ignorer: celui des champs et des forêts au-delà de son habituelle aire de labeur, celui du lointain, celui du ciel. Le magnifique film d'Yves Yersin, par sa beauté fraternelle et sa vérité, montre avec lyrisme la découverte de cette liberté, les rêves qu'elle nourrit, les extases qu'elle procure, et ce qui sournoisement la menace. D'ailleurs, ce qui la menace en constitue le prix incalculable et, parce qu'il exprime l'inexprimable mystère de ce fondement de la condition humaine en partant d'un intelligent scénario qui maintient vivante la dialectique au coeur du poème, Yersin peut cerner continuellement la justesse naturaliste pour la dépasser dans le sens du chant. Jusqu'à un certain point de son récit, Yersin (je pèse mes mots !) signe un chef-d'æuvre; jamais (Roméo et Juliette au village compris avec, bien entendu, l'ensemble du nouveau cinéma suisse) une création du septième art conçue et réalisée dans notre pays n'atteignit ce niveau de bouleversante évidence: nos réalités extérieures et intérieures saisies à vif dans leur particularisme, puis remodelées pour éclater en plein universalisme concret. L'élaboration très subtile du rôle effectuée par Michel Robin sous la direction du réalisateur n'y est évidemment pas pour rien: il incarne Pipe le Vaudois avec une exactitude confondante et le pousse au mythe.
Puis l'auteur s'intéresse de plus près aux actions des autres protagonistes, aux amours de Josiane avec Luigi, aux difficultés du fils avec sa fiancée et avec l'avenir de l'entreprise paysanne, aux soucis du père, aux douleurs inavouées et solitaires de la mère ; il développe des anecdotes annexes, s'attarde sur des situations secondaires, souligne des éléments qui touchaient mieux et en disaient plus, paradoxalement, lorsqu'ils étaient simplement esquissés autour de Pipe, car la réussite exceptionnelle du premier mouvement de ce spectacle tient à la fa&çon de présenter et d'analyser l'ensemble par une seule de ses parties, de préciser sans cesse le thème général en dressant avec amour le portrait d'un individu.
A la fin, Pipe s'envole en hélicoptère et tourne autour du Cervin pour comparer ce pic célèbre avec l'image suspendue à la paroi de sa chambre que, depuis toujours, il admire en rêvant de s'en approcher. Amer constat: la pointe dorée au soleil couchant, symbole de grandeur et de pureté dans les cantiques et les prières patriotiques n'est qu'un amas de cailloux. Le tracteur a remplacé les chevaux. Le profit exige la culture intensive, l'élevage industriel, des calculs de rendement. Une civilisation qui ne manquait pas de souffrances ni d'injustices, mais qui possédait un rythme en accord avec les saisons, a disparu. Celle des technocrates et des fonctionnaires la remplace. Où, dans cette mutation, l'homme trouvera-t-il sa place ? Quel futur pour l'amical Pipe? Pour nous?

* Fondateur et ancien Directeur de la Cinémathèque Suisse, Freddy Buache est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma : «Le cinéma italien d'Antonioni à Rosi», «Le cinéma anglais autour de Kubrick et de Losey», «Le cinéma américain 1955-1970», «Le cinéma suisse» de monographies de Luis Bunuel, Michel Simon, G. W. Pabst, Erich von Stroheim et à l'Anthologie du Cinéma (tome IV) : Paul Leni.



Claude-Marie Trémois : Le vieil homme indigne

Avec Les Petites fugues, on peut maintenant parler de film naïf comme on parle de peinture naïve. Gràce au cinéaste suisse Yves Yersin, gràce aussi à Michel Robin jusqu'ici cantonné dans les seconds rôles (mais toujours merveilleux, souvenons-nous de L'invitation, par exemple) qui nous offre avec Pipe, le valet de ferme, l'équivalent de ce qu'a réussi Michel Simon avec Boudu. Un film lent, drôle et tendre, qui nous conte les aventures d'un vieil homme indigne.


Olivier Barrot : Sur les traces de Jean-Jacques

On est ici presque chez Jean-Jacques, dont la présence m a paru constamment et discrètement rappelée. Le vieux Pipe décide d'apprendre la liberté: un vélomoteur lui procurera I'espace, un appareil photo gagné à une fête lui donnera sa propre image, un hélicoptère lui prouvera la décevante beauté du mont Cervin dont il conserve un cliché dans sa chambre. Or, on se souvient que Rousseau osa le premier affirmer l'âpre splendeur de la montagne, prôna l'expérience plutôt que l'enseignement, eut le courage d'être et de se voir lui-même en pied pourrait-on dire. Pipe est le héros de la liberté, pédagogue malgré lui, poète naïf mais poète absolument.

Ecran 79, 15 juin 1979


Michel Marmin : Délicieux délire

Il y a dans ce conte philosophique et moral digne de Joseph Delteil une sorte de folie paisible et charmante. La forme en est vraiment très remarquable. Il est rare de voir des couleurs aussi belles, aussi pures, aussi éclatantes que dans ce film qui pique comme l'air des alpages et dans lequel les êtres et les choses ont la simple et tonique saveur du réel. Yves Yersin pourrait bien appartenir à la race heureuse des nihilistes gais.

Le Figaro, 13 septembre 1979.


Claire Devarrieux : La part de poésie

Solidement réaliste, Yves Yersin prend son temps et il ne faut pas le lui reprocher. Attentif aux détails, aux gestes dans leur durée, il saisit également sur les visages les expressions qui s'installent. Suisse, il prend aussi en chacun la part de poésie offerte comme l'a fait avant lui Michel Soutter. Le charme des Petites fugues repose sur une observation du monde, des gens, des pouvoirs, des évolutions, sur une réflexion de cinéaste, sur un travail.

Le Monde, 19 septembre 1979.


Michel Boujut : Au-delà du régionalisme

Avec Les Petites Fugues, Yersin a choisi de raconter l'histoire d'un valet de ferme de la grasse campagne vaudoise. Avec un regard de la plus grande acuité, en même temps que la plus grande émotion. Par des voies bien différentes d'un Olmi et son Arbre aux sabots, mais lui aussi fort au-delà de tout régionalisme, il sait nous rendre perceptible la réalité des travaux et des jours. Collant à cette réalité, il ne craint pas pour autant de recourir à l'imagination, au lyrisme et au chant. Il réussit même la synthèse des deux grandes tendances du cinéma suisse, je veux dire la poésie et l'ethnographie.

Les Nouvelles littéraires, 20 septembre 1979


Robert Chazal : En sol mineur

La leçon est jolie, elle s'enrichit d'une description réaliste de la vie d'une ferme en Suisse avec les conflits et les intrigues habituels. D'un côté la vie, de l'autre le rêve, avec les incompatibilités d' usage. Une suite de tableaux bien mis en scène joliment photographiés, avec un sympathique amour de la vie simple. Trop long sans doute pour la fragilité du sujet, ce film a le mérite d'offrir à Michel Robin un rôle digne de son talent. Pour lui aussi ce film est une fugue hors des personnages furtifs ou conventionnels qui sont trop souvent son lot.

France-Soir, 24 septembre 1979.


Martin Schaub : L'espace illimité des sensations

Alors que l'observation patiente et calme du monde et de la civilisation est la qualité principale du documentaire en Suisse allemande, le récit des histoires d'émancipation est le sujet favori des cinéastes romans (voir les genevois). Mais dans Les Petites fugues, Yves Yersin a créé la première synthèse véritable de ces deux tendances de la cinématographie suisse. La poésie n'y est pas étouffée par une description précise et maniérée de la réalité quotidienne. Les Petites fugues ne craint pas l'imagination. Le film ose décoller de la terre ferme pour accéder au rêve et à l'espace illimité des sensations et des visions.

Pipe encourage le spectateur parce qu'il est la raison humaine comme le héros du film sibérien Derzu Uzala de Kurosawa.

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